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FO ESR


Livre blanc du Conseil scientifique du CNRS sur les "entraves à la recherche":
une occasion manquée de dresser l’acte d’accusation du financement sur appels à projets

Un "Livre blanc préliminaire sur les entraves à la recherche" vient d’être rendu public (mai 2023). Ce rapport du Conseil scientifique du CNRS est focalisé sur le volet administratif des "dysfonctionnements" … mais il passe à côté de l’essentiel, deux ans après la loi de programmation de la Recherche.

Si les exemples fournis touchent les différentes catégories de personnels au sein des laboratoires et des délégations régionales du CNRS, ils ont vocation à illustrer une situation "identique, voire aggravée" au sein d’autres EPST, d’Universités ou de Grandes Ecoles. Au-delà de l’image désastreuse du CNRS lors de la formalisation de collaborations internationales, ce sont les personnels ITA et chercheurs (tout comme les BIATSS et les enseignants-chercheurs) qui sont directement impactés par la dégradation de leurs conditions de travail et la perte de sens de leur activité professionnelle.

Les personnels administratifs au sein des délégations régionales ou gestionnaires, au sein d’une unité, sont "généralement en situation de surcharge chronique. L’implication hors-normes de certains personnels peut masquer temporairement la surcharge ; le risque est alors que ces cas ne débouchent sur des syndromes d’épuisement professionnel, ou sur des amertumes de non reconnaissance professionnelle. La situation est (…) à l’origine de risques psycho-sociaux."

Sans oublier qu’en matière de progression de carrière des IT, le sentiment d’arbitraire se développe avec le manque de postes aux concours et la fin des prérogatives des commissions paritaires …

Les chercheurs "mentionnent régulièrement qu’une part croissante de leur temps de travail est consacrée à des activités de gestion, ou de suivi juridique de dossiers partenariaux (…). Le temps consacré à ces activités ne l’étant plus aux activités de recherche, c’est l’efficience globale (rapport de la production scientifique au total des ressources consacrées) qui diminue, régulièrement et insidieusement."

Sans oublier que la direction du CNRS a contribué à "surimplémenter des consignes de la Commission Européenne" comme la création de pointeuses électroniques pour gérer les contrats (communiqué FO de sept. 2010 dénonçant une "recherche sur bons de commande").

Les "Zones à régime restrictif" (ZRR) instaurées par le décret Fillon (2 novembre 2011) et l’arrêté Ayrault (3 juillet 2012) relatif à la protection du potentiel scientifique et technique de la nation, n’ont donné lieu à aucun bilan de la politique de "propriété intellectuelle", comme le souligne le livre blanc. Pour sa part, FO ESR a combattu l’introduction, dans les règlements intérieurs des laboratoires, de restrictions d’accès liées aux ZRR et d’entraves à la liberté de publication qui mettent en cause la nature fondamentalement collaborative de la recherche, dont les résultats ont vocation à être diffusés publiquement.

Ces constats, basés sur des faits incontestables, auraient pu être l’occasion d’ouvrir un débat sérieux sur les causes profondes de ce mal-être qui prend la forme d’une "exaspération croissante à l’encontre d’un alourdissement régulier du cadre administratif" (procédures et accumulation d’entraves à la pratique de la recherche, perte de liens socio-professionnels, ZRR, financement de la recherche …).

En se cantonnant à proposer quelques palliatifs à ce qu’il faut caractériser comme une épidémie de risques psycho-sociaux, le Conseil scientifique fait abstraction de son caractère systémique et passe à côté de l’essentiel. Si le livre blanc mentionne le fait que "la mise en place de l’ANR, puis de l’ERC, de l’EIC, etc. a radicalement changé la façon de faire la recherche depuis 2000", il gomme tout lien de causalité, vingt ans après l’instauration d’un financement de la recherche publique essentiellement sur appels à projets, deux ans après le passage en force de la loi de programmation de la recherche (LPR) de décembre 2020 (en pleine pandémie) malgré l’opposition de la majorité des personnels …

Le "déclassement international de la recherche française" est sans appel, la France passant en 5 ans du 6ème au 9ème rang des pays publiant (rapport HCERES 2021 sur la position scientifique dans le monde).

Ce recul résulte d’une part de la paupérisation de la recherche publique - aggravée par l’autonomie des universités et l’utilisation du 49.3 pour le budget 2023 - et d’autre part du gaspillage de temps et d’énergie des chercheurs pour quémander des financements. Dans un communiqué d’octobre 2019, FO ESR renvoyait aux analyses prémonitoires de Leo Szilard dès 1962 ("pourquoi ne pas faire quelque chose pour retarder le progrès scientifique ?") en donnant l’ampleur de cette entrave à l’activité des chercheurs :

En 2018, à raison de 2889 propositions détaillées (issues de 6964 pré-projets), c’est l’énergie de plus de 1300 chercheurs (équivalents temps-plein) qui a été gaspillée pour l’appel à projets générique de l’ANR. Pendant ce temps de rédaction de projets, les publications sont au point mort et la production des connaissances stagne.

Le "portail appel à projets" créé par le ministère en 2022 ne peut masquer l’effondrement des crédits récurrents des laboratoires depuis la mise en place des exigences bureaucratiques de l’ANR (cf déclaration FO ESR au CNESER du 10 janvier 2023).

Le livre blanc du CS du CNRS occulte les conséquences dramatiques de la LPR : renforcement du rôle de l’ANR, précarisation et privatisation accrues de la recherche, création de nouveaux contractuels sur projets précaires, recrutement local sans validation par les pairs ouvrant la porte à tous les clientélismes, remise en cause du principe constitutionnel d’indépendance des enseignants-chercheurs … Ces omissions expliquent-elles "l’échange riche dans une ambiance constructive" avec la Direction Générale du CNRS ?

Par ailleurs, le rapport fait fausse route en s’en remettant à la Cour des Comptes, fer de lance contre l’indépendance des chercheurs, ou à des outils de management du type "Démarche d’Amélioration Continue" qui feraient peser la responsabilité de "dysfonctionnements" sur des acteurs de terrain - personnels administratifs, chercheurs et directeurs d’unité - qui n’y sont pour rien !

En se focalisant sur le volet "administratif", le livre blanc passe sous silence la mise en concurrence accrue des chercheurs, y compris au sein des UMR, en lieu et place des coopérations scientifiques. La défiance s’est généralisée, que ce soit pour les autorisations de missions internationales par le FSD, l’utilisation de la carte bleue professionnelle, mais aussi envers les directeurs de thèse …

Enfin, la LPR porte la suspicion sur les jeunes chercheurs, en instaurant un "serment" sur l’intégrité scientifique, à l’issue de la soutenance de thèse, d’une portée toute moralisatrice qui n’a pas lieu d’être dans le domaine scientifique (cf déclaration FO sur la modification de l’arrêté sur le doctorat, juin 2022).

FO ESR réaffirme qu’il est de la responsabilité de la direction générale du CNRS de défendre les statuts et de protéger les conditions de travail des chercheurs et ITA du CNRS.

Le ministère, relayé par la direction du CNRS, va à rebours de ces exigences. Dans le cadre de la LPR, des milliards d’euros ont été annoncés … principalement pour casser les structures de la recherche publique (cf le communiqué FO ESR Où sont les milliards de la LPR ?).

La transformation des organismes de recherche nationaux (EPST) en agences de moyens ou maintenant de programmes est dans les tiroirs depuis 15 ans ; avec la "mission sur l’évolution de l’écosystème de la recherche et de l’innovation" confiée par la ministre à Philippe Gillet, il s’agit d’avancer dans cette direction pour "reconnaître le rôle de chef de file des universités à l’échelle d’un site".

FO ESR n’acceptera pas, sous couvert de "simplification", ce nouveau pas vers la régionalisation / territorialisation de la recherche, contre les statuts des personnels des organismes de recherche !

FO ESR appelle tous les personnels à être en grève le 6 juin et à porter leurs revendications dans les manifestations pour le retrait de la réforme des retraites.

Faites-vous entendre avec les représentants FO au CNESER :
du 12 au 15 juin (vote électronique), votez pour les listes FO ESR au CNESER !