Projet de décret « intégrité scientifique » présenté au CNESER du 12 octobre 2021
Un objet indéterminé pour un objectif de réduction de la liberté de recherche
Note : le projet de décret « relatif au respect des exigences de l’intégrité scientifique » est pris en application de la loi LPR, article 16, devenu art. L 211-2 du Code de la Recherche, qui dispose que « Les travaux de recherche, notamment l'ensemble des activités de la recherche publique […] respectent les exigences de l'intégrité scientifique visant à garantir leur caractère honnête et scientifiquement rigoureux et à consolider le lien de confiance avec la société. »
Déclaration FO
1) Comme l’article L 211-2 du Code de la Recherche, le décret d’application ne donne aucune définition de son objet :
nulle part n’est définie ce qu’est l’ « intégrité scientifique », on prend donc des dispositions pour faire appliquer une notion qui n’a pas été définie !
C’est à l’évidence paver la voie à l’arbitraire et à la subjectivité des appréciations ainsi qu’aux conflits d’interprétations.
2) La loi LPR, dont est issu ce projet de décret, va exacerber les situations potentielles que le projet de décret est censé combattre.
En généralisant la contractualisation donc l’insécurité des chercheurs et en aggravant le poids de la recherche sur projets et les situations potentielles de conflits d’intérêts, le ministère n’applique pas lui-même l’article 2 alinea 2 du projet de décret.
[2-2° - « Veillent à l’organisation des travaux de recherche menés par leurs personnels selon des modalités favorisant le respect de ces exigences »]
La prévention des cas de fraude scientifique passe en effet aussi par un examen des modalités de financement des activités de recherche ; la recherche sur projet augmente la compétition entre équipes et favorise les situations de conflit d’intérêt pour les évaluateurs et les décideurs (comme le Comité d’éthique du CNRS a dû le reconnaître).
FO ESR ne peut valider la politique du pompier pyromane.
3) FO ESR défend l’indépendance des universitaires et des chercheurs (article L952-2 du Code de l'Éducation) : il n'est nul besoin de sortir un nouveau décret qui ne pourrait que limiter cette indépendance.
En instaurant dans chaque établissement un « référent » en matière d’ « intégrité scientifique », « référent » désigné par la direction ou présidence, le décret va à l’encontre de la collégialité et du jugement par les pairs de chaque discipline, qui seuls permettent un exercice efficace de la profession. FO ESR n’acceptera pas que les collègues soient soumis dans leur établissement à un censeur, ce qu’est en réalité un « référent ».
De plus, la conjoncture est à cet égard alarmante : comme on l’a vu en effet à plusieurs reprises ces derniers temps, aussi bien en ce qui concerne le supposé « islamo-gauchisme » (dont n’existe aucune définition respectant l’objectivité - si ce n’est l’ « intégrité » - scientifique) que pour les propos du PDG du CNRS reprochant un manque de « déontologie » à des chercheurs, les reproches envers des recherches ou des chercheurs de la part de détenteurs d’un pouvoir politique ou administratif, en tout cas extra-scientifique, pourraient facilement se parer des atours de la défense de l’ « intégrité scientifique » telle qu’ici envisagée, alors qu’il s’agit d’atteintes inacceptables à la liberté de la recherche et à la liberté corrélative d’expression des chercheurs en tant que chercheurs, y compris dans la société.
4) Le décret participe de la destruction des garanties par les règles de droit puisqu’il enclenche l’application de "normes" à géométrie variable
Le décret (à la suite de l’art. L 211-2) délègue en effet aux établissements le soin de mettre en œuvre les procédures visant à « sensibiliser » aux « exigences de l’intégrité scientifique » et à sanctionner les manquements à ces « exigences ». La définition de l’ « intégrité scientifique » est ainsi laissée à chacun des établissements. Censément à portée générale, cette réglementation va donc introduire des définitions diverses, aussi diverses que les établissements, de ce qu’est l’ « intégrité scientifique » et de ce que seraient les « exigences » afférentes. Il y aurait autant d’« intégrités scientifiques » que d’établissements !
FO votera donc contre le projet présenté.